Les mesures annoncées vont renforcer les problèmes que connaît la voie professionnelle, dans la lignée des « réformes » précédentes. Malgré l’opposition du conseil supérieur de l’éducation et d’une large intersyndicale, le Président passe encore une fois en force.
Rassemblement le mercredi 31 mai 14h au rectorat de Grenoble « contre la casse de la Voie Professionnelle et pour refuser la précarité dans l’éducation »
(à l'appel de l'intersyndicale réunie à l'échelle de l'académie de Grenoble (voir le communiqué en fin d'article)
Analyse ci-dessous réalisée par SUD éducation 92
Un lycée professionnel dézingué par les précédentes réformes
- La réforme de 2008, a fait passer le lycée professionnel de trois à quatre ans. L’enseignement professionnel sous statut scolaire a déjà connu environ 9 000 suppressions de postes d’enseignants titulaires et perdu 100 000 élèves (dont 30 000 depuis le début du premier quinquennat Macron). (Voir en ligne sur Médiapart).
- La réforme de Blanquer en 2019 a vu les matières générales être réduites drastiquement, (les heures cumulées des maths-sciences, français, arts appliqués, langues, histoire-géographie et enseignement moral et civique représenteront désormais entre 5,5 heures et 9 heures hebdomadaires selon les sections, au lieu de 15 heures en moyenne avant la réforme.)
La réforme actuelle se trompe en parlant de succès de l’apprentissage. C’est dans le supérieur que l’apprentissage se développe très fortement depuis quelques années (Voir en ligne sur LeMonde.fr). Il pose la question des rapports entre emploi et enseignement, et cela est encore plus criant pour le lycée professionnel où les élèves sont plus fragiles scolairement et plus jeunes : l’éducation devrait d’abord être un processus d’apprentissage avant d’être une formation à un ou des emplois précis. Il est illusoire de le mettre en place tel quel dans la voie professionnelle alors que nombre d’élèves sont fragiles tant scolairement que dans leurs constructions sociales.
La réforme actuelle va renforcer la logique qui est déjà à l’œuvre en lycée professionnel et qui conduit à la situation actuelle. Elle amplifie :
- La diminution du temps scolaire
- L’employabilité immédiate des élèves au détriment du service public de l’Education, de la formation de « l’homme, du travailleur, du citoyen » ; car un élève n’est pas un employé, un élève n’est pas un ouvrier.
- Le contrôle des entreprises et des patrons d’entreprise.
A cet égard, la double tutelle ministère de l’éducation et ministère du travail est éloquente. (Voir en ligne sur Francetvinfo).
Une privatisation de l’enseignement public
➡️ L’enseignement professionnel sous la coupe des entreprises locales
La réforme oppose employabilité et cours : il s’agit de donner moins de cours aux élèves qui envisagent un emploi après le diplôme.
Considérer l’enseignement professionnel par l’employabilité, les besoins des entreprises, l’économie, c’est nier la nécessité émancipatrice de l’école.
Le service public de l’Éducation disparaît au profit d’un service aux entreprises du bassin, en fonction de leurs besoins immédiats, pour leur fournir une main d’œuvre bon marché.
La logique de formation n’est plus globale mais devient purement locale et territoriale. « la création de 2 100 bureaux des entreprises, un dans chaque lycée professionnel,
permettra d’ouvrir un réseau professionnel aux jeunes qui n’en ont pas et de créer un point d’entrée pour chaque entreprise du territoire ». Cela doit être mis en place dès la rentrée 2023. (p. 25 du dossier de presse).
L’employabilité inféodée aux besoins court-termistes et locaux des entreprises, l’opposer aux cours dispensés au lycée professionnel, c’est nier la nécessité des savoirs dispensés par un service public. Or ces savoirs sont nécessaires pour former des élèves éclairé·e·s, émancipé·e·s, qui soient libres de leur carrière professionnelle.
Ces savoirs doivent au contraire mettre à disposition des élèves de la voie professionnelle des outils pour agir :
- Pour être capable non d’être dépendant·e·s des entreprises locales, mais de pouvoir faire face aux changements du monde du travail dont une grande partie des métiers de 2030 n’existent pas encore et sont à inventer.
- Sur un monde économique qui est à transformer radicalement en luttant contre ses logiques de prédation sur la planète et de domination des travailleurs.
➡️ Des élèves transformés en travailleurs exploitables
Que les élèves stagiaires soient gratifiés de 50 à 100 € par semaine (p. 10 du dossier de presse du ministère) soit entre 1.42€ et 2.86 € de l’heure entraîne un glissement dangereux entre stage d’apprentissage et travail rémunéré, dans l’esprit des élèves, des entreprises et de l’opinion publique.
Cela permet d’accoutumer les uns et les autres à se contenter d’aumônes horaires.
Cela permet pour les entreprises, de considérer les stagiaires comme des travailleurs puisqu’ils touchent de l’argent pour leur stage.
C’est de l’argent public et les entreprises ne sont pas mises à contribution. Il s’agit de socialiser ces gratifications tout en privatisant une main d’œuvre.
Un mépris de classe
➡️ Renforcement du déterminisme géographique et social
Si le Ministère fait le constat d’un déterminisme social de la voie professionnelle, cette réforme, au lieu d’apporter des solutions contre ce problème, le renforce au contraire.
En effet, rendre l’enseignement professionnel dépendant du bassin d’emploi, c’est renforcer les déterminismes géographiques, économiques, sociaux des élèves.
C’est les assujettir au tissu économique local, c’est renforcer leur lien de subordination aux entreprises locales.
➡️ Des citoyens de seconde zone
"La citoyenneté, elle a aussi une dimension pratique, c’est le fait de trouver un travail." Pap Ndiaye, France Info, le 5 mai 2023
Donc le Ministre de l’Education nationale affirme qu’être pleinement citoyen c’est être au travail.
Il faut donc en déduire que lorsque l’on est au chômage, on n’est pas pleinement citoyen.ne mais que l’on est citoyen·ne de seconde zone. Quelle est la prochaine étape ? Lorsque l’on est au RSA, en plus d’être corvéable à merci, on sera déchu.e de ses droits civiques ?
Qu’un ministre soi-disant spécialiste des minorités et des logiques discriminatoires tienne ces propos est extrêmement choquant.
Un pacte avec des missions imposées
Avec une partie socle et une partie pacte, la même logique est à l’œuvre que pour l’enseignement non professionnel, (voir l’article de SUD éducation 38 en ligne)
Mais, à la différence de l’enseignement non professionnel, il n’y aura pas plusieurs briques pour le pacte.
Ce dernier comprendra un package de missions liées entre elles : il faudra prendre l’ensemble de ces missions, mêmes celles que l’on ne veut pas assurer, en plus de ses obligations réglementaires de service (ORS). Cela renforce la contractualisation à l’œuvre dans l’Éducation nationale, contractualisation qui s’étend ici aux fonctionnaires qui devront alors accepter toutes ces missions liées, même celles qui ne font pas partie de ses ORS, sans limites horaires.
Une désorganisation importante des établissements
➡️ Des groupes à effectifs réduits sans moyens ni organisation
Les groupes à effectifs réduits annoncés en mathématiques et français en classe de seconde se fait à la rentrée 2023 selon les collègues et établissements qui vont être volontaires puise cela sera applicable dans tous les lycées professionnels à la rentrée 2024. (p. 11 du dossier de presse).
Cela se fait sans moyens fléchés et sans organisation claire ce qui sera problématique.
➡️ Des options pour désorganiser les lycées
Des options seront ouvertes aux élèves dans les établissements volontaires en 2023 puis dans tous les établissements en 2024 (p. 12 du dossier de presse). Après le lycée général qui a été totalement désorganisé et, ayant nombre de retours négatifs, le Ministère décide de généraliser en voie professionnelle une organisation qui pose problème.
➡️ Une année de terminale sur mesure
- pour les élèves qui envisagent une insertion dans l’emploi dès l’obtention du diplôme : la durée des stages sera augmentée de plus de 50 % ; le dernier stage de l’année ayant vocation à favoriser une insertion directe dans l’emploi ;
- pour les élèves qui souhaitent poursuivre leurs études après le diplôme : ils suivront quatre semaines de cours intensifs d’enseignements généraux et professionnels adaptés pour leur permettre d’acquérir les compétences nécessaires à la réussite dans l’enseignement supérieur.
Cela s’appliquera pour les élèves qui rentreront en classe de première (1ère session du baccalauréat professionnel en 2025). (p. 13 du dossier de presse)
Comme en lycée général, est donc généralisée :
- La disparition du groupe classe
- L’impossibilité pour les personnels de suivre les élèves d’une classe.
- L’atomisation des sociabilités des élèves qui se retrouvent seuls pour les plus fragiles
- La pression concurrentielle des choix d’options qui sont discriminants pour l’orientation
- Une désorganisation et une pression constante qui dégradent en permanence les conditions de travail pour les personnels.
Une réforme violente et brutale pour les personnels
➡️ un véritable plan social
Les personnels des lycées professionnels apprennent ces annonces par voie de presse.
C’est par les médias qu’ils et elles apprennent que leur filière, leur poste sont supprimés (« On va en fermer 80 à la rentrée et en ouvrir 150 autres", le ministre sur franceinfo), leur métier, leur poste, est supprimée pour dans quelques mois, pour la rentrée de septembre.
L’objectif est de 100% des formations non insérantes qui soient fermées à la rentrée 2026 (p. 23 du dossier de presse).
C’est un vrai plan social qui touche les lycées professionnels, appris par voie de presse, sans accompagnement qui soit prévu par l’État employeur.
➡️ Le mépris du Ministre
A ce mépris, à cette brutalité, à cette violence de l’employeur s’ajoutent les propos du Ministre :
Les personnels qui ne sont "pas nécessairement compétents pour enseigner dans des filières complètement différentes" pourront aller dans le premier degré ou au collège où, si l’on suit la logique du ministre, il n’y a pas besoin de compétences spécifiques et où chacun·e est interchangeable.
Il s’agit là encore d’une casse de nos statuts : tous les postes et tous les concours s’équivalent pour notre institution qui fait preuve, là encore, d’un mépris sans nom pour l’ensemble de ses personnels.
Les revendications de SUD éducation
📢 La Fédération SUD éducation défend un enseignement professionnel de qualité dans l’éducation nationale qui :
➡️ associe enseignement professionnel et enseignement général pour apporter aux lycéen-ne-s autonomie et esprit critique dans la construction de leur carrière professionnelle.
➡️ qui ne cloisonne pas, des passerelles sont à développer, dans les deux sens, avec la voie générale et technologique.
❎ Contre la réforme de l’enseignement professionnel portant une réductiondes heures d’enseignement, le regroupement arbitraire des classes de seconde par familles de métier, la généralisation de l’orientation précoce par mise en place de classes de 3ème « prépa métiers » en collège.
✅ Pour le respect de la liberté pédagogique et donc contre la co-intervention imposée.
❎ Contre le projet de « chef-d’œuvre » vide de contenu, d’une appellation inappropriée.
❎ Contre les épreuves d’examen par Contrôle en Cours de Formation, la surcharge de travail qu’ils entraînent pour les enseignant⋅e⋅s, l’évaluation locale par les enseignant⋅e⋅s de leurs propres élèves, synonyme d’inégalité.
❎ Contre « l’oral de contrôle » en BAC PRO.
✅ Pour une pondération à 1,1 des heures effectuées en classe de Terminale Bac pro et dans les deux années de CAP.
✅ Pour une compensation proportionnelle à la charge de travail effectuée, prenant en compte le nombre d’épreuves, de sous-épreuves et le nombre d’élèves concernés.
❎ Contre le taux scandaleusement bas de l’indemnité forfaitaire de 400 euros aux enseignant⋅e⋅s en relation à la charge de travail et aux contraintes que la mise en œuvre de CCF implique.
❎ Contre la possibilité pour les établissements privés de formation professionnelle hors contrat de bénéficier du produit de la taxe professionnelle.
✅ Pour un Bac pro en 4 ans, et le maintien d’un CAP en 2 ans.
✅ Pour une formation professionnelle des jeunes jusqu’au bac exclusivement en formation initiale sous statut scolaire ; pour une formation professionnelle qui doit être à un corps de métier et non à des tâches spécifiques, ce qui implique la suppression des blocs de compétences et de l’apprentissage.
❎ Contre la mise en concurrence des différentes offres de formation : les formations en apprentissage contre la formation sous statut scolaire, dans une logique purement comptable.
❎ Contre la loi OFPTLV (Orientation et Formation Professionnelle Tout au Long de la Vie) qui porte une vision libérale de l’École et une approche « adéquationniste » de la construction des parcours de formation
❎ Contre la modification du calendrier scolaire qui dégraderait les conditions de travail des personnels et/ou les possibilités d’apprentissage pour les élèves au nom de l’industrie du tourisme.
❎ Contre les épreuves d’examen par Contrôle en Cours de Formation, la surcharge de travail qu’ils entraînent pour les enseignant⋅e⋅s, l’évaluation locale par les enseignant⋅e⋅s de leurs propres élèves, synonyme d’inégalité.
❎ Contre les lycées de métier et le tout CCF (Contrôle en Cours de Formation) : Le lycée des métiers est encore une fois un pont jeté entre l’enseignement professionnel et la formation d’entreprise. Autonomie accrue des établissements, spécialisation professionnelle à outrance, différents statuts pour les jeunes en formation (scolaire, apprenti), le lycée des métiers va à l’encontre d’un enseignement qui suscite les échanges, les passerelles, la mixité professionnelle et donc sociale, la coopération.
📢 la Fédération SUD éducation revendique de véritables moyens :
💶 la revalorisation des bourses d’études en terme de montant et de publics concernés,
💶 la rémunération des stages en entreprises,
💪 des créations de postes.
Communiqué intersyndical – Obtenons de réels moyens pour le lycée professionnel !